Les mines de la Pinosa
Situé sur les pentes du massif du Canigó, la colonie minière de la Pinosa est un site patrimonial remarquable des XIXeme et XXeme siècles. Témoin d’une longue histoire industrielle et des techniques liée à la qualité du minerai de fer du Canigó, ce site aujourd’hui préservé dans son écrin naturel fut également le théâtre d’un événement marquant de l’histoire de la Résistance.
La colonie minière de La Pinosa est située au nord de la commune de Valmanya, aux sources de la rivière de la Rabassa, dans le haut bassin de la Llentillà, à 1 350 mètres d’altitude sur les pentes nord du Puig de l’Estella et du Puig de Sant Pere. Juste derrière ces crêtes se sont développées les mines de Batera-Las Indis, la dernière concession en activité du massif du Canigó. Présent sous la forme d’oxydes (hématite) ou de carbonates, le minerai de fer du Canigó est de longue date réputé pour sa qualité. C’est cette présence d’oxydes de fer, c’est-à-dire des minerais naturellement hématisés en surface, qui donne cette couleur rougeâtre caractéristique de certaines parties des versants et qu’on peut toujours observer dans le secteur de Batera-la Pinosa. Exploitées vraisemblablement depuis l’Antiquité, les mines de la Pinosa approvisionnaient en minerai de fer les forges à la catalane avoisinantes depuis au moins le Moyen Âge. Elles appartenaient au domaine de l’abbaye de Saint-Michel-de-Cuxa (Codalet), qui possédait pendant tout l’Ancien Régime un immense patrimoine métallurgique sur l’ensemble du massif du Canigó, aussi bien des exploitations minières que des forges à la catalane. Les ressources du sous-sol devenues la propriété de l’État suite à la Révolution, leur exploitation passe désormais par l’obtention d’une concession minière accordée par le Préfet. Les galeries de la Pinosa apparaissent, quant à elles, abandonnées et éboulées au tout début du XIXe siècle ; ce n’est qu’en 1810 que Michel Noell, héritier des exploitants de la mine et maître forgeron, afferme l’exploitation au domaine de l’État. La concession n’est cependant instituée qu’une trentaine d’années plus tard, par ordonnance royale de 1844, puis agrandie par décret de 18776, portant désormais son périmètre depuis Roca Gelera jusqu’au ravin del Pèl de Ca et le Col de la Cirera.
Par le biais du mariage en 1858 de Jacques Pons et d’Elisa, la fille aînée de Michel Noell, la concession de la Pinosa passe à l’héritage de l’une des dynasties de maîtres de forges les plus importantes du Vallespir, alimentant pendant le XIXe siècle les forges leur appartenant, à savoir : la forge du Pont-Neuf d’Arles-sur-Tech, celle du Riuferrer (Corsavy) puis celle du Llec (Estoher). Ces mines ont ainsi été exploitées par leurs héritiers, Jacques, Alexandre et Jean Pons, tant que le minerai a pu être traité sur place dans les forges à la catalane du voisinage. Or, le déboisement des montagnes, l’épuisement des gisements de surface et l’évolution de l’industrie sidérurgique qui a conduit à la rapide généralisation du haut fourneau, ont ruiné cette industrie métallurgique traditionnelle et par conséquent, l’industrie extractive qui lui fournissait sa matière première. L’exploitation de la concession de la Pinosa est restée donc très modeste, voire dérisoire si nous la comparons à celle des concessions du bassin de la Têt, pendant les dernières décennies du XIXe siècle. Très riches et fort appréciés néanmoins, ces gisements de fer ne pouvaient en effet être remis en valeur que par une exploitation régulière et rationnelle ainsi que par une organisation complète des transports.
MM Pons restent les exploitants de la concession de mines de fer de la Pinosa jusqu’en janvier 1904, lorsqu’ils l’afferment aux frères Edmond et Louis Valentin, industriels alsaciens résidant à Amélie-les-Bains. Devenus propriétaires de la concession de la Pinosa en 1906, à laquelle ils adjoignent les concessions de Valmanya et de Palalda, les Valentin utilisent leur puissance financière pour entreprendre des travaux d’art remarquables afin de moderniser l’exploitation minière et de répondre au mieux aux besoins croissants de l’industrie sidérurgique. Ainsi, ils installent entre 1906 et 1907 un service complet de transport, composé de deux transporteurs aériens funiculaires reliés par un chemin de fer à voie étroite de 12 km de longueur, permettant d’évacuer le minerai de la Pinosa jusqu’à la gare de la Petite Provence, à Amélie-les-Bains. Acheminé par la voie ferrée de la Compagnie de Midi, le minerai de la Pinosa est ainsi expédié aux fonderies du Centre et du Sud-Ouest de la France, dont les besoins sont alors en progression constante. Une partie du minerai de la Pinosa (environ 5 % de sa production) est par ailleurs exporté à l’étranger par voie maritime, au départ de Port-Vendres, étant consommé en Allemagne par les Rheinische Stahlwerke (Duisburg-Meiderich, Rhénanie-du- Nord-Westphalie), ou en Angleterre par la Ebbw Vale Steel Iron & Coal C° (Manchester) .
Les frères Valentin créent à cet effet la Société d’embarquement de Port-Vendres, destinée à améliorer l’exportation au loin des produits de l’ensemble du bassin minier du Canigó. Si des funiculaires aériens, des plans inclinés automoteurs ou à traction hydraulique, des chemins de fer à voie étroite ne sont alors pas exceptionnels, dans la mesure où ils sont largement utilisés ailleurs, le système de transports des mines de la Pinosa fascine encore aujourd’hui pour sa complexité, son ingéniosité et son aptitude à s’adapter au milieu montagnard, en surmontant les importantes contraintes topographiques des lieux.
Région inhabitée jusqu’ici, les exploitants font construire également entre 1906 et 1908 une véritable colonie industrielle à la Pinosa, destinée à loger une centaine d’ouvriers sur place. Construits sur plusieurs terrasses, les bâtiments de la cité minière de la Pinosa ont été bâtis en pierre, briques et chaux et couverts de tuiles mécaniques ; la colonie bénéficie par ailleurs de l’énergie électrique fournie par une usine hydroélectrique située sur les berges de la rivière de la Rabassa (Valmanya). Une deuxième agglomération est érigée à l’extrémité méridionale de la ligne de chemin de fer, au col de Formentera (Montbolo), équipée également de logements pour le personnel, d’ateliers de réparation, de garages… Cet ensemble d’aménagements font entrer l’exploitation de la Pinosa dans l’ère industrielle.
Confrontés cependant à d’énormes dépenses imposées par ces travaux pharaoniques, les frères Valentin entament dès 1913 des négociations avec la société des aciéries Schneider et Cie (Creusot, Saône-et-Loire), qui étaient devenus depuis 1914 leurs clients les plus importants. Si les établissements du Creusot consomment depuis 1907 le minerai de la Pinosa, tout comme celui de Fillols ou d’Escaro-Aytua, la demande s’intensifie à partir de 1914 en raison du déclenchement de la guerre et de l’augmentation de la production de fontes hématites décidée alors par la direction creusotine. La prise de contrôle des mines de la Pinosa est effective dès janvier 1915 sous la forme d’une filiale constituée le 22 octobre 1915, dénommée « Société des Mines de la Pinouse (sic) ».
La crise économique de 1929 signe néanmoins la fin de l’extraction de minerai de fer à la Pinosa et le transfert du personnel. La fin des travaux a eu précisément lieu au cours du deuxième trimestre 1931, ayant alors été acquise par la Société anonyme des mines de Batera. Cette dernière renonce par la suite à entreprendre l’exploitation sur la concession de laPinosa, dont l’activité s’est arrêtée définitivement.
La colonie de la Pinosa a été par la suite le théâtre de violents combats dans le cadre d’une opération de « nettoyage » des maquis (FTPF í AGE) présents entre Toulouse et la vallée du Rhône, organisée en 1944 par le commandement allemand, depuis le siège de l’État-Major de Rouffiac-Tolosan (Haute-Garonne). En effet, abandonnés depuis 1931, les bâtiments de la Pinosa ont servi d’abri à quelque soixante hommes des FTPF (Franc-tireurs et partisans français) du maquis Henri-Barbusse et à une centaine de guérilleros de l’AGE (Agrupación de guerrilleros Españoles), arrivés dans ce site le 8 et le 20 juillet respectivement. Dénoncés par deux agents infiltrés, le Turc Nessim Ezquenazi (1913-1944) et le Picard Josep Bricogne (1893-1944), les maquisards cantonnés à la Pinosa ont fait face entre le 1er et le 3 août 1944 à une action combinée des forces allemandes et des francs gardes de la Milice, regroupant environ 600 hommes. Encerclés et largement dépassés en nombre, les maquis de la Pinosa réussissent à se disperser dans les bois de la haute vallée de la Llentillà, vers Prats Cabrera, couverts par cinq hommes des FTPF, parmi lesquels Julien Panchot, capitaine du maquis Henri-Barbusse. Ce dernier, blessé aux jambes, est capturé par les Allemands, torturé puis exécuté contre le mur de la cantine de la Pinosa. Le bilan de cette opération de « nettoyage » est considérable : attaque, pillage et destruction du village de Valmanya et de la colonie minière de la Pinosa, quatre civils et deux maquisards exécutés à Valmanya et deux guérilleros à La Bastide, ainsi que plusieurs déportés pour faits de résistance.
Fortement ancrés dans la mémoire des populations locales, ces événements sont solennellement commémorés chaque année, le 1er dimanche du mois d’août. Une crypte en honneur des martyres de Valmanya est aménagée dans une grotte à l’entrée du village et une plaque commémorative est apposée à l’endroit où fut achevé le capitaine Panchot, contre le mur de la cantine. Ainsi, outre un patrimoine industriel majeur, le site de la Pinosa est également un haut lieu de mémoire du département des Pyrénées-Orientales. La double dimension patrimoniale de ce site justifie ainsi largement sa protection et sa conservation pour les générations à venir.
Le site a été sécurisé et aménagé pour la visite, et inauguré en 2023, grâce au soutien de l’Europe, de l’Etat, de la Région Occitanie, du Département des Pyrénées-Orientales et de la Fondation du Patrimoine (missions Stéphane Bern).
Les mines de Batera
Au début du XXe siècle, une colonie ouvrière est installée à 1450 mètres d’altitude sur le site d’extraction de Batère afin de fixer la main d’œuvre sur place. Elle se compose d’une cantine, de bureaux, d’ateliers et d’un magasin d’approvisionnement assurant aux travailleurs une vie plus confortable.
Avec la colonie minière, c’est une vraie vie de village qui s’installe sur le site d’extraction. Pendant que les mineurs sont au fond, les femmes s’occupent des tâches ménagères et les enfants, quand ils ne sont pas à l’école installée sur site, animent la colonie de leur présence sonore. Des fêtes sont organisées par le comité d’entreprise : pièces de théâtre préparées par les enfants de l’école, chorale, bals dansants viennent égailler le quotidien des mineurs comme dans tout autres villages de la vallée.
Pour loger les mineurs, plusieurs bâtiments seront construits à mesure que la colonie prend de l’ampleur. Comme dans d’autres sites miniers, la main d’œuvre est constituée de nombreuses nationalités qui se regroupent en communautés. À Batère, les logements prennent le nom de leurs occupants. Ainsi, on connaît le bâtiment des italiens, dans lequel se trouve l’actuel refuge.
Historiquement, l’exploitation du fer est conditionnée par la disponibilité en matière première végétale nécessaire à la réduction du minerai. Le col de la descarga doit son nom aux échanges de bois contre minerai qui y étaient réalisés dans le cadre de l’activité de la mine de Batère.
Les sites d’extraction en montagne se développent grâce à la présence des forêts pyrénéennes et la grande quantité de charbon de bois qu’elles garantissent. En raison des contraintes du milieu, le bois est charbonné sur place. Les importantes quantités de charbon nécessaires au fonctionnement des forges à la catalane vont rapidement conduire à une surexploitation des forêts, modifiant en profondeur les paysages du Haut-Vallespir. Cette déforestation massive fragilise les versants montagnards et aggrave les phénomènes d’érosion et les conséquences des crues qui frappent périodiquement les villages.
Les vallées verdoyantes et l’abondance des forêts qui caractérisent aujourd’hui le Haut-Vallespir sont très éloignées des paysages du XIXe siècle. Les versants sont alors mis à nu par un déboisement intensif lié à l’activité minière. Si l’on s’inquiète dès le début du XIXe siècle du manque de matière première et de son impact sur le ralentissement de l’activité métallurgique, les campagnes de reboisement ne seront entreprises qu’au début du XXe siècle pour remédier aux conséquences de l’érosion.
L’opération de réduction du minerai était réalisée sur les sites d’extraction, soit en tas à l’air libre, soit dans des constructions en argile. Le perfectionnement de la méthode se traduit au début du XXe siècle par l’apparition d’un four à griller sur le site de Batère qui facilite son transport vers la vallée. Le grillage est la première étape du traitement par réduction, la seconde étant le martelage du minerai de fer. Cette technique consiste en une modification de sa structure par l’action de la chaleur. L’eau et les matières stériles contenues dans les filons sont brûlées et le volume de matière est réduit d’environ 30%, facilitant le transport du minerai vers la vallée. Cette opération, nécessitant une grande quantité de charbon de bois disponible en montagne, est réalisée à proximité des lieux d’extraction jusqu’au début du XXe siècle.
Les vestiges de l’activité minière se retrouvent sur l’ensemble du gisement, à cheval sur les vallées du Conflent et du Haut-Vallespir. Des traces de premières exploitations par le peuple des champs d’Urnes ont été datées de 500 avant J.C. sur la commune de Serralongue. Puis, entre le IIe siècle avant J.C. et le IIIe de notre ère, les romains exploitent le fer de Batère et du Canigó. Avec la prospérité de la province de la Narbonnaise, les activités d’extraction puis de production de fer vont s’intensifier.
L’extraction du minerai dans les mines à ciel ouvert est possible lorsque le filon affleure en surface ou par le biais de galeries ouvertes sur les flancs de la montagne sur un plan horizontal avec une légère pente pour faciliter l’écoulement des eaux d’infiltration. L’ensemble des travaux d’extraction est alors réalisé à la main à l’aide d’outils rudimentaires pour un rendement faible.
De nouveaux bâtiments sont construits au niveau 1750 avec cantine et école en 1953. En 1984, sur un effectif de 55 personnes, à peine une trentaine descendent au fond, seulement 18 mineurs sont effectivement à l’extraction du minerai. Le 18 juin 1987, la Société d’Exploitation de Decazeville et la Société anonyme de Batère déposent leur bilan. L’exploitation de la dernière mine du Canigou s’arrête officiellement le 1er décembre 1987
La volta Batera-Pinosa
Le Syndicat Mixte Canigó Grand Site a aménagé un sentier de 24 kilomètres, qui vous emmène à la découverte des vestiges du patrimoine minier sur le secteur Batera-Pinosa. Il est réalisable en deux jours, avec une nuit au refuge de Batera, un des 5 refuges gardés du Massif du Canigó :
– Du coll Palomeres à La Pinosa
– De La Pinosa au refuge de Batera
– Du refuge de Batera à la Torre de Batera
– De la Torre de Batera au coll Palomeres
La boucle passe par plusieurs sites majeurs de l’industrie du fer : l’ancienne colonie minière de La Pinosa, dont l’aménagement s’est terminée au printemps 2022 ; le site minier des Ménerots, le site minier de Batera. Tout au long du sentier, qui suit en partie l’ancienne voie de chemin de fer, des vestiges de ce patrimoine sont visibles, et vous raconteront l’histoire d’une ressource et des hommes qui l’ont exploitée. Ce circuit peut être accompagné d’un topoguide rando-patrimoine, disponible sur demande dans les Offices de Tourisme.