Patrimoine bâti

Patrimoine archéologique

Les premières traces d’occupation humaine sur le territoire datent de l’époque Paléolithique (100 000 – 5 800 av J.C.) et marquent la présence néandertalienne sur le massif. Les peintures rupestres dans la Cova Bastera et les gravures de Fornols-Haut en témoignent.

Roche gravée de Fornols-Haut (Campôme), ©Ministère de la Culture

Au Néolithique (5 800 – 2 500 av. J.C.), la sédentarisation progressive et les innovations technologiques mènent à l’installation d’habitats, majoritairement en grotte, comme à la Caune de Bélesta ou de Montou. A cette époque, les pratiques funéraires laissent des traces sur le territoire: 43 dolmens ont été recensés sur le territoire, dont l’Arca de Calahons, qui est le plus ancien découvert dans le Département ou la salle sépulcrale exceptionnelle de la Caune de Bélesta.

L’Âge des métaux, couvrant le Chalcolithique (2 500 – 1 800 av.J.C.) jusqu’à l’Âge du Bronze (1 800 – 700 av.J.C.), témoigne de l’évolution technologique et sociale sur le massif du Canigó. Les grottes du Canigó ont laissé peu de vestiges de cette période, mais la fouille récente du site du Camp de les Basses (Amélie-les-Bains) a révélé un habitat à l’air libre du Bronze final (1 250 – 750 av. J.C.) en bon état de conservation, lié à une nécropole.

Les sites à l’air libre de cette période se concentrent principalement sur des nécropoles, dont celle de Canals (Millas), la plus grande découverte en Roussillon, et le site du Camp de les Olles (Serralongue) datant de l’Âge du Bronze. De nombreux dolmens, tels que le dolmen de la Caixa de Rotllan (Arles-sur-Tech) et celui du Mas d’en Payrot (Saint-Michel-de-Llotes), témoignent également de cette époque.

L’émergence de progrès techniques dans l’armement, à partir du Bronze final et du début de l’Âge du Fer, est illustrée par des découvertes telles que l’épée à antennes de fer associée à plusieurs tombes, datant du VIe siècle av. J.C. Les hommes commencent alors à construire les premiers villages fortifiés en hauteur, ou oppida, avec des exemples conservés en Conflent comme l’oppidum du Roc del Moro (Marcevol), celui de Castello (Vinça) et celui de La Cogulera (Rodès).

L’Antiquité ibéro-gallo-romaine révèle le rôle stratégique du massif du Canigó, aux confins de trois groupes ethnoculturels avant l’arrivée des Romains. Les contacts commerciaux entre ces groupes et les Grecs montrent une ouverture aux influences culturelles étrangères. Les Romains s’emparent du massif au IIe siècle av.J.C., exploitant ses richesses minières et établissant des thermes à Aqua Calidae (Amélie-les-Bains). La période du haut Moyen Âge (Ve-VIIIe siècles) est caractérisée par des événements tumultueux, avec une occupation dense du territoire wisigothique et la création du diocèse d’Elne vers 567, confirmant l’ancrage du culte chrétien dans la région. L’archéologie révèle des habitats, notamment dans des grottes, et la continuité de l’exploitation du fer. La création du diocèse est également soulignée par la découverte de sarcophages associés à une église ou une chapelle paléochrétienne.

Patrimoine religieux

Le massif du Canigó abrite des édifices religieux remontant à l’époque romane, avec une forte prédominance de l’art roman. La prospérité du Roussillon aux IXe-Xe siècles a donné lieu à la construction de petites églises en pierre, témoignant d’une abondance artistique dans une période où les églises en bois persistaient ailleurs en Europe. Le Roussillon et les comtés voisins se démarquent comme une région européenne riche en art « pré-roman », bien que peu d’églises de cette époque soient parvenues intactes.

Des éléments caractéristiques de l’art « pré-roman » sont observés, notamment dans l’abbaye de Saint-Michel-de-Cuixa, avec des arcs outrepassés rappelant des influences sarrasines ou orientales. Les abbayes, bénéficiaires des largesses des comtes, ont été à l’origine du développement de l’art roman dans la région, produisant des chefs-d’œuvre tels que les abbatiales de Saint-Martin-du-Canigó et de Sainte-Marie-d’Arles-sur-Tech.

Les édifices de cette période suivent un plan proprement roman, comprenant une nef centrale élevée par des voûtes en pierre, un transept et plusieurs absides. Les abbayes ont également créé un dense réseau d’églises et de chapelles rurales, caractérisées par une construction simple avec une nef unique terminée par une abside semi-circulaire.

Au cours des XIIe et XIIIe siècles, l’art roman roussillonnais s’est enrichi d’une sculpture monumentale, principalement réalisée avec des marbres locaux, et les peintures murales aux scènes historiées sont apparues. L’art roman a continué de rayonner dans tout le Roussillon jusqu’aux XIIIe et XIVe siècles, survivant même à l’essor du style gothique en Europe.

Entre les XVIe et XVIIIe siècles, le Roussillon a connu une période de renouveau religieux intense, marquée par l’expansion de l’art baroque. Cette époque a vu la création de nombreuses œuvres, notamment des retables en bois dorés et polychromes ornant les églises. Les villages ont également réaménagé leurs églises médiévales, avec des exemples notables à Ille-sur-Têt, Vinça, Marquixanes, et Prades.

Grâce à son affiliation à la couronne d’Espagne pendant les guerres de religion et à sa relative préservation pendant la Révolution française, l’architecture religieuse du Conflent et du Vallespir a été préservée du pillage et de la destruction.

Patrimoine militaire

Le massif du Canigó, terre de frontière depuis des siècles, a été le théâtre de conflits avec les Sarrasins, le royaume de France, la Catalogne (pendant le royaume de Majorque), et enfin avec la couronne espagnole. Cette histoire mouvementée se reflète dans les nombreuses fortifications qui parsèment la région, témoignant de conflits permanents.

Aux IXe-Xe siècles, les châteaux documentés étaient ceux des comtes de Cerdagne, servant de lieux temporaires de résidence. La contestation de l’autorité publique par une nouvelle élite guerrière au XIe siècle a conduit à la multiplication des châteaux, devenus des éléments essentiels de l’encadrement féodal du territoire.

Pendant le royaume de Majorque (XIIIe-XIVe siècles), des tours de surveillance ont été érigées le long de la nouvelle frontière définie par le testament de Jacques Ier en 1276. Ces tours, dotées de signaux lumineux, formaient un réseau de surveillance.

Dès le XIIe siècle, certains bourgs du massif ont activement fortifié leurs agglomérations, et au XIIIe-XIVe siècle, ils ont construit une deuxième voire une troisième ligne de remparts en réponse à l’expansion urbaine et à la redéfinition de la frontière par le traité de Corbeil.

La plupart des fortifications médiévales du massif sont aujourd’hui en ruines, mais des vestiges révèlent des caractéristiques architecturales intéressantes. Les forteresses étaient souvent construites en hauteur, suivant la topographie du site, avec des plans géométriques simples, des murs en galets ou en terre cuite, et des bretèches au-dessus des portails pour protéger les entrées.

Les fortifications médiévales ont été rendues obsolètes par l’artillerie, et au XVe siècle, un nouveau modèle basé sur le système bastionné a émergé en Europe. Ce système a été utilisé par l’ingénieur militaire Vauban pour réaménager les places stratégiques du Roussillon au XVIIe siècle, dont Villefranche-de-Conflent, Prats-de-Mollo, Fort-Libéria, et Fort-les-Bains. Certains de ces sites ont été inscrits au patrimoine mondial de l’UNESCO en 2008.

Patrimoine civil

Le territoire du Grand Site, bien que de taille modeste, présente une diversité géographique remarquable, caractérisée par des zones montagneuses, de basse montagne et de plaine. Les villages, concentrés principalement sur les contreforts du Canigó, témoignent d’une morphologie ancienne et variée. Trois types de villages se distinguent : ecclésiaux, castraux, et montagnards.

L’évolution historique de l’habitat est influencée par des mutations politiques et sociales, conduisant à la féodalisation de la Catalogne entre le Xe et le XIIe siècle. Les villages, autrefois dispersés, évoluent vers une concentration autour des églises paroissiales pour se protéger des pillages seigneuriaux.

Les celleres, espaces de stockage médiévaux, deviennent des centres structurants défendus à partir du XIIe siècle. Les châteaux contribuent également à façonner l’habitat, créant des pôles autour desquels se regroupent les celliers.

Entre le XIIe et le XIIIe siècle, les celleres ecclésiastiques et castrales attirent la population, favorisant l’émergence de villages concentrés. Cependant, le déclin démographique de la fin du Moyen Âge entraîne l’abandon de certains villages.

Le développement économique du XIXe siècle favorise l’extension des villages du piémont avec de nouveaux quartiers et demeures. Les stations thermales connaissent une transformation significative, accueillant des personnalités politiques et artistiques.

En matière de bâti, les villages de montagne présentent des constructions massives en pierre avec toitures en tuiles. En plaine, l’habitat groupé est varié, allant du traditionnel ordinaire au bourgeois et aux hôtels particuliers. Les matériaux locaux, comme le galet et la brique, conditionnent la construction, tandis que l’enduit et la pierre taillée contribuent aux décors des façades.

L’architecture évolue avec l’émergence de styles modernistes au XIXe siècle, marquant notamment les stations thermales. Des éléments distinctifs, tels que les balcons en fer forgé, les portails monumentaux, et les décors peints sur les corniches, enrichissent le patrimoine architectural du massif.

Patrimoine vernaculaire

Le patrimoine vernaculaire, également connu sous le nom de « patrimoine rural » ou « petit patrimoine », englobe les biens immobiliers témoignant d’une pratique traditionnelle ou locale révolue. Il constitue un élément essentiel pour comprendre les relations d’une collectivité avec son territoire, reflétant les réponses apportées aux conditions de vie locales et aux contraintes environnementales.

Les éléments du patrimoine vernaculaire, tels que moulins, puits, murettes et canaux, sont liés à des systèmes de production spécifiques, formant une synthèse de l’adaptation des sociétés locales à leur environnement. Cependant, ces éléments ont été confrontés à des transformations rapides dans les espaces ruraux, entraînant leur obsolescence et leur abandon, ce qui a eu un impact visuel majeur sur les paysages.

Bien que fragile, mal protégé et souvent méconnu, le patrimoine vernaculaire suscite un regain d’intérêt en raison de son rôle dans l’attractivité et la diversité des paysages. Des travaux de recensement ont été entrepris dans certains territoires, mais une identification exhaustive est nécessaire pour une protection adéquate et la mise en place d’actions de valorisation.

Le patrimoine vernaculaire offre des indices précieux sur les activités économiques passées, l’aménagement du territoire et la gestion des ressources naturelles. Des exemples incluent les terrasses méditerranéennes, les ponts, les réseaux d’irrigation et les constructions liées à l’exploitation hydraulique, ainsi que les fontaines et lavoirs du XIXe siècle.

Les espaces de montagne présentent un patrimoine bâti lié aux activités agropastorales, témoignant d’une tradition pastorale séculaire. Les cortals, cabanes, baraques et orris constituent des unités d’habitat temporaire, illustrant la flexibilité des modes d’appropriation de l’espace montagnard au fil des siècles.

Cortal Allosat, Le Tech, ©L’Indépendant