Patrimoine minier

Inscrite dans l’Histoire, l’activité sidérurgique du Canigó s’étale sur plus de 2000
ans. Elle a laissé de nombreux vestiges sur les communautés montagnardes et sur les paysages du massif qui constituent un patrimoine monumental et technique exceptionnel.

Les roches du massif contiennent une quantité très élevée de minéraux riches en fer, constitués principalement d’oxydes (hématite et magnétite), d’hydroxydes (limonite) et de carbonates (sidérite). Les gisements sont situés sur le pourtour du Canigó, dessinant une demie couronne depuis la partie septentrionale de la vallée du Riuferrer (Batère) dans le versant sud, la vallée de la Lentilla – appelée « Grande vallée du fer » – sur la face nord-est, jusqu’aux gisements des vallées de la Llitera, Fillols ou La Rotja, sur le versant nord.

Certains villages ont ainsi été construits sur des gisements comme le vieux Vernet, où les habitants extrayaient sans contrôle du minerai dans leurs caves jusqu’à l’interdiction de cette pratique dangereuse, à la fin du XIXe siècle ; ou encore à Escaro, où l’on creusa une galerie, ce qui entraîna l’effondrement de l’église romane de Saint-Martin…

Les nombreux gisements du massif ont fait l’objet d’une exploitation séculaire qu’on peut
faire remonter aux temps préhistoriques, comme en témoignent les traces des travaux du métal sur les tombes de la nécropole de Canals (Millas). Cependant, ce sont les Romains qui ont déployé sur le massif une activité sidérurgique très intense qui a laissé des traces sur le paysage. Se déplaçant en fonction de leurs besoins en charbon de bois pour les fours de réduction, les forges mobiles romaines ont laissé la trace des entreprises métallurgiques. Ainsi, le site du Mas de l’Oratori (Saint-Marsal) comporte un grand crassier s’étalant sur plus de 150 mètres de long, avec des milliers de tonnes de scories associées à de la poterie et à des monnaies, permettant de le dater entre le IIe siècle av.J.C. et le IIe siècle de notre ère
Le site de Saint-André de Baillestavy comporte également un ferrier antique sous-jacent à l’église romane dont l’activité se situe entre la fin du IIe siècle av.J.C. et le milieu du Ier ap.J.C.

L’industrie métallurgique s’est maintenue modestement pendant le Moyen Âge dans de petites forges répondant aux besoins locaux des communautés. C’est à l’orée du XIVe siècle que cette industrie connaît un essor remarquable, induit par le bouleversement technique lié à l’adoption de la force hydraulique pour actionner le marteau. Cette révolution technique inaugure la période des « forges à la catalane », marquée par la multiplication des forges sur tout le massif du Canigó.
L’emplacement de nombreuses forges dans les petits villages montagnards, non loin des sites d’extraction, apporte des revenus aux familles en marge de l’agriculture et de l’élevage, permettant un développement démographique parallèle à l’évolution de l’industrie du métal. L’époque de splendeur des forges du Canigó s’étale entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, lorsque la méthode « à la catalane » atteint son plein développement technique par l’adoption de la « Trompe des Pyrénées », soufflerie rudimentaire actionnée par une chute d’eau. Installées aux bords des rivières, ayant subi l’action successive des crues – notamment l’Aiguat de 1940 -, de nombreuses forges ont été emportées ; seules les ruines de quelques forges, dont celles du Llech (Estoher), du Pont Nou d’Arles-sur-Tech ou de Saint-Guillem (Montferrer), constituent des vestiges de ce type d’installations sur le massif.

La concurrence des fontes nationales et internationales, notamment la fonte anglaise, est
toujours très forte, raison pour laquelle les usines métallurgiques du massif sont obligées de fermer ou de se reconvertir au cours des années 1870 – 1880, comme celle de Prades. La seule usine qui maintient sa production est celle de Ria, jusqu’en 1953 ; cette dernière est par ailleurs la dernière usine fonctionnant au charbon de bois en activité en France. Ayant modernisé le système de production, l’industrie métallurgique reste fortement conditionnée par les coûts du transport des matières premières, rendus très difficiles par l’altitude et l’éloignement des sites d’extraction. En effet, le transport du charbon et du minerai demeure très rudimentaire, long et pénible, comme en témoigne le souvenir des personnes qui réalisaient ce travail. Par exemple, Joséphine Andrieu, dite « la Fina Vella », transportait sur son dos une charge de 44 kilos pendant six ou sept heures de marche entre les mines de La Pinouse et la forge du Llech. Chargée d’un sac noué sur son front, ne pouvant se décharger toute seule, elle utilisait pour se reposer les banquettes, faites très grossièrement en pierre avec dossier, appelées ici reposadors (reposoirs), qu’on peut encore trouver sur les versants de la montagne.

Des solutions au problème de transports ont du être trouvées afin de garantir la survie de l’activité industrielle du massif. Les capitaux nécessaires à la modernisation des transports ont été disponibles à partir de la perte par la France de la Lorraine en 1870, qui a conduit les compagnies minières du nord à s’intéresser aux mines de fer du Canigó. Malgré des difficultés financières entraînant des retards, le chemin de fer entre Perpignan et Prades est terminé en 1877, d’abord par Edmond Sharpe, ingénieur civil à Lancaster (Standfort, Angleterre), puis par l’État qui la cédera en 1884 à la Compagnie du Midi, chargée de la prolonger jusqu’à Villefranche-de-Conflent. La ligne Elne – Arles-sur-Tech est également réalisée par la Compagnie du Midi et ouverte en 1898.

Aussitôt, divers systèmes de transport – câbles aériens, plans inclinés, voies ferrées d’altitude… – permettant l’acheminement du minerai depuis les gisements jusqu’aux gares du piémont sont installés dans toutes les concessions par ces compagnies ayant investi sur le massif. De nombreux bas fours à griller sont de surcroît installés au pied même des gisements afin de réduire le minerai sur place et de diminuer ainsi les coûts du transport. Toutes les concessions minières du massif, regroupées en de vastes concessions dans le souci de parvenir à une exploitation plus rationnelle, ont ainsi connu la modernisation de leurs systèmes de production et de transport depuis la fin du XIXe siècle et les premières décennies du XXe. L’exemple des mines de La Pinosa est illustratif pour comprendre la mesure de ces aménagements.

Fours à griller du Rebolledes, Baillestavy, ©SMCGS, Fonds B. Fort

La modernisation des systèmes de production et de transport a permis d’atteindre un record de production pour la quasi totalité des concessions minières du massif. Cette croissance de la production se poursuit jusqu’à la fin de la guerre de 14-18, lorsque plusieurs phénomènes se combinent et compromettent cette industrie qui semblait à nouveau florissante dans une crise dont elle ne se relèvera plus. La récupération de l’Alsace et la Lorraine après le traité de Versailles (1919), les crises économiques successives, le remaniement des tarifs de transport, la concurrence étrangère qui monopolise le marché français, conduisent beaucoup de concessions à cesser leur activité. Un redémarrage modeste de certaines exploitations est entrepris pendant la seconde guerre mondiale, à
Batère ou à Fillols par exemple, mais leur activité est soumise aux mêmes contradictions
qu’auparavant. Devenues insurmontables, les difficultés conduisent à l’arrêt définitif de l’activité pendant les années 1960 des concessions encore en activité, suscitant un exode massif des ouvriers.
Seule la mine de Batère reste en activité grâce à la modernisation des méthodes de production mises en place en 1968. Cependant, la fermeture des aciéries de Decazeville (Aveyron) en 1986 mène au ralentissement de l’extraction puis à son interruption définitive en 1996. Aujourd’hui, de nombreux vestiges – des entrées de galeries, des forges en ruine, des bâtiments désaffectés, des fours à griller… – enfouis sous les broussailles en forêt, marquant le paysage, imprègnent suffisamment le regard pour nous rappeler l’importance de l’industrie du fer dans le massif du Canigó.