Patrimoine immatériel

Le patrimoine culturel va au-delà des monuments et des collections d’objets, incluant toutes les expressions vivantes transmises de génération en génération et reconnues par les groupes comme faisant partie de leur identité collective. La reconnaissance du patrimoine culturel immatériel par l’UNESCO en 2003 promeut le respect de la diversité culturelle dans un contexte de mondialisation croissante.

Lieux de mémoire

La notion de lieu de mémoire concerne les repères culturels issus des conflits contemporains, notamment les deux guerres mondiales, mettant en lumière des éléments importants de l’histoire locale et nationale tels que champs de bataille, vestiges d’ouvrages de défense, monuments commémoratifs et musées. Ces sites préservent et transmettent la mémoire des personnes tombées pendant ces conflits.

La Première Guerre mondiale (1914-1918) a suscité une union sacrée des populations en France, mobilisées pour l’effort de guerre national. Les pertes humaines considérables ont traumatisé toute une génération, conduisant à la commémoration par les communes à travers des monuments, cénotaphes et autres hommages aux victimes. Certains de ces édifices, réalisés par des sculpteurs renommés, représentent le sacrifice et la douleur plutôt que la glorification de la victoire.

En janvier-février 1939, lors de la Retirada, des réfugiés républicains espagnols ont fui la Catalogne, traversant la frontière pour arriver à Prats-de-Mollo et à Saint-Laurent-de-Cerdans, où ils ont été internés dans des camps de fortune. Cet épisode marque l’histoire contemporaine du département, et de nombreuses familles républicaines espagnoles sont toujours présentes dans la région.

Réfugiés à Prats-de-Mollo

Quelques mois après l’arrivée des républicains espagnols, la France entre en guerre contre l’Allemagne nazie, déclenchant la Seconde Guerre mondiale. Le massif du Canigó devient un refuge pour les résistants, maquisards et combattants anti-franquistes espagnols. Des opérations de sabotage et de ravitaillement ont lieu, suscitant l’inquiétude des Allemands qui pillent et brûlent le village de Valmanya. Des combats mémorables sont commémorés chaque premier dimanche d’août, rappelant l’incendie du village et les résistants fusillés. La Pinosa, site mémorable, patrimonial et historique, est également un lieu à faire connaître, avec une plaque en marbre honorant Julien Panchot, capitaine du maquis tué par les Allemands.

Traditions et expression orale

Le Canigó, monument naturel, culturel et historique, a captivé l’imagination depuis l’Antiquité, nourrissant de nombreux mythes qui lui confèrent aujourd’hui sa dimension légendaire. Ces récits, transmis de génération en génération, témoignent des croyances séculaires et d’un imaginaire enraciné dans l’histoire locale du massif. Compilés par divers ethnologues et folkloristes tels que Horace Chauvet, Joan Amades et Didier Payré, ces récits forment un précieux patrimoine collectif.

La culture populaire, avec son habileté à fournir des explications éclairantes là où la science faiblit, se manifeste, par exemple, dans l’étymologie du nom Canigó. Une dispute sur le terme désignant le chien aurait conduit à l’accord « ni-ca-ni-gos », évoluant vers l’actuel « Canigó ». D’autres récits lient la montagne à des personnages bibliques, des saints locaux et des figures historiques, expliquant des lieux emblématiques du massif.

La langue catalane, en particulier sa variété roussillonnaise, constitue un vecteur fondamental de ce patrimoine, véhiculant cette tradition orale jusqu’à nos jours.

Arts du spectacle, la musique et la danse

La musique, art universel, se manifeste dans toutes les sociétés, profanes et religieuses. En Roussillon, une expression ancienne de la créativité populaire est représentée par les goigs, compositions poétiques dédiées à la Vierge et aux saints, remontant au XIIIe siècle. Originaires de la tradition des troubadours médiévaux, les goigs étaient associés à des lieux spécifiques et invoqués lors d’offices religieux ou pour des rituels tels que la guérison ou l’éloignement des esprits malveillants. Les Goigs dels ous, chantés le Samedi Saint pour la quête des œufs de Pâques, demeurent populaires dans le massif, transmis sans interruption et réinterprétés par des musiciens contemporains.

La sardane, danse traditionnelle catalane, a été introduite en Vallespir en 1905 puis dans tout le département des Pyrénées-Orientales par les exilés républicains. Elle est aujourd’hui la danse traditionnelle la plus pratiquée en Roussillon. Accompagnée par la musique de la cobla, une formation établie par le musicien catalan Pep Ventura au XIXe siècle, la sardane se danse en formant un rond fermé, avec des mouvements précis. Associée à une revendication culturelle pendant le franquisme, la sardane a été interdite, mais elle persiste aujourd’hui avec un répertoire de plus en plus vaste. Des compositeurs contemporains, tels que Pascal Comelade, lui insufflent une nouvelle vitalité.

Pratiques du spectacle, rituels et événements festifs

Les pratiques sociales, rituels et événements festifs continuent de modeler la vie communautaire et de souligner son identité et sa connexion avec le passé. Ces pratiques, liées à des lieux spécifiques et à des moments clés du calendrier, revêtent diverses formes, incluant expressions, gestes, récitations et chants. De nombreuses traditions sociales, ancrées dans les croyances chrétiennes, se déroulent autour du Canigó. Par exemple, la veille de Pâques, les habitants de plusieurs villages chantent des chansons traditionnelles sous les balcons, revêtus de costumes traditionnels et collectant des œufs et des victuailles en remerciement.

Des pratiques religieuses locales comprennent la procession annuelle de la Rodella à Montbolo, datant du XVe siècle, ainsi que d’autres événements spécifiques à certaines régions. Les fêtes de l’ours, célébrées entre février et mars à Saint-Laurent-de-Cerdans, Prats-de-Mollo et Arles-sur-Tech, rappellent les luttes anciennes contre les fauves. Cette fête, symbolisant l’humanisation de l’animal, est interprétée comme un rite initiatique. Les jeunes hommes se déguisent en ours, marquant les villageois de traces noires. La chasse à l’ours se déroule dans les rues du village avant que l’ours ne soit capturé, enchaîné et rasé sur la place. Depuis 2023, cette fête est classée au patrimoine mondial de l’UNESCO.

Savoirs-faire

De nombreux témoignages de l’artisanat traditionnel et des savoir-faire du massif du Canigó enrichissent le patrimoine agricole et industriel. Les ressources du territoire sont exploitées avec des méthodes perfectionnées au fil des siècles, reflétant un savoir-faire local à préserver et à transmettre. L’extraction et la transformation du fer ont historiquement été la filière la plus importante, donnant naissance à des œuvres artisanales variées telles que cloches, croix, serrures, heurtoirs, chandeliers, lames à couteau, et clôtures d’autel.

L’art du fer forgé traditionnel se distingue dans les églises, avec des ferrures élaborées sur les portes et des verrous à tête de chien ou de serpent. Cependant, cet artisanat se déploie également dans les rambardes en fer forgé des bâtiments villageois. Pour préserver ces savoir-faire, le label « Villes et Métiers d’Arts » a été décerné à Arles-sur-Tech en 1998, où se tiennent chaque année les Rencontres européennes de ferronnerie d’art. Prades a également obtenu ce label en lien avec son patrimoine bâti et mobilier, comprenant céramique, ferronnerie, fresque, et taille de pierre. Les communes du massif organisent la Festa del ferro (Fête du fer), intégrée au projet La Route du fer du Canigó, comprenant des visites patrimoniales, conférences, et démonstrations de savoir-faire artisanal, tels que la mise à feu de charbonnières, le travail à la forge, la fonte de cloches, et les ferrages de chevaux.